Renfort au Canada : le témoignage de Maximilien Leboulanger

Du 19 juillet au 9 août, un troisième détachement français est intervenu en renfort au Canada, dans un contexte de solidarité internationale. Les incendies ravageaient la province du Québec qui présente d’immenses forêts équivalentes à 5 fois la surface de la France. Le capitaine Maximilien Leboulanger faisait partie de l’effectif envoyé sur place. Il nous raconte son expérience aux côtés des communautés canadiennes.

 

OÙ AVEZ-VOUS ÉTÉ ENGAGÉ ?

Nous avons été engagés sur une zone nordique relativement isolée située au-delà du 52e parallèle, à 1500 kilomètres au nord de Québec. Sur cette zone, le détachement a été affecté sur deux feux afin d’assurer la protection des populations et la sauvegarde d’équipements stratégiques.

Un premier groupe a été installé à Wemindji, une réserve indienne de la communauté Cree ; un second groupe a rejoint la petite ville de Radisson. Celle-ci abrite une centrale hydroélectrique qui permet d’alimenter en électricité les provinces de Québec et de New York.

Après notre arrivée en avion, il nous a donc fallu rejoindre la zone en pick up : 18 heures de route à effectuer tout de même car les distances sont particulièrement longues…

Durant une journée, nous avons été immergés dans l’organisation : information sur la situation feu de forêt, formation aux outils de commandement et cartographies, présentation des matériels canadiens à disposition, des techniques et stratégies de lutte puis entraînement à l’usage des hélicoptères, principaux moyens de déplacement sur les zones de travail particulièrement étendues.

De nombreux conseils de vigilance nous ont été prodigués concernant la météo, le type de végétation, sans oublier les risques à prendre en compte comme les animaux que nous étions susceptibles de croiser.

126 sapeurs-pompiers composaient notre détachement. Nous avons travaillé sur place aux côtés de nos homologues américains et canadiens, et avons pu profiter de compétences variées (DIH, DIS, feux tactiques, drones, module FENICS spécialisé dans les moyens de communication, FORMISC, SSSM, et responsable communication).

  

DANS QUEL CONTEXTE ÊTES-VOUS INTERVENU ?

Le 1er juin, le Canada a été confronté à un épisode orageux particulièrement virulent : plus de 3000 coups de foudre ont été enregistrés. Avec la sécheresse qui sévissait déjà, 140 feux de forêt se sont déclarés dans les 24 heures qui ont suivi. Les incendies se sont étendus sur 5 millions d’hectares.

Sur les deux feux sur lesquels nous avons été engagés, 360 000 hectares de végétation étaient touchés : une situation inhabituelle puisque les sapeurs-pompiers canadiens n’interviennent jamais sur des feux de forêt à cette latitude.. Compte tenu de l’ampleur de ces incendies, il était impossible de les éteindre. Notre rôle était de limiter leur propagation et les effets dévastateurs des flammes sur les infrastructures ou les habitations menacées.

 

QUEL ÉTAIT VOTRE JOURNÉE TYPE ?

Les journées étaient intensives avec un réveil à 5 h30 du matin pour un rassemblement à 6h45. Chaque matin, le travail démarrait par un briefing très complet de la société de protection des forêts avant de lancer la journée ininterrompue jusque 18h.

Nous étions projetés 80% du temps en hélicoptère à plusieurs dizaines de kilomètres à l’intérieur du feu, sur des lisières non accessibles par des moyens terrestres. Le changement de vent ou de comportement régulier du feu, pouvait entraîner très vite des situations où les équipes pouvaient être en danger. Afin d’éviter cela, rien n’était laissé au hasard. Les données météorologiques, les reconnaissances aériennes, l’observation du feu, et des procédures et consignes de sécurité étaient clairement partagées.

Chaque équipe travaillait en autonomie sur son chantier avec du matériel embarqué spécifiquement pour la journée. Les missions étaient variées : déforestage, noyage, traitement de lisières, extinction de nombreuses reprises avec jusqu’à 2 km d’établissements.

Nous étions dotés de téléphones satellites et accompagnés de techniciens spécialisés dans les transmissions et nouvelles technologies (FENICS) afin de veiller à conserver des liaisons radio, satellites et téléphoniques de manière permanente.

 

QUELLE DIFFÉRENCE AVEC LES PHÉNOMÈNES DES FEUX DE FORÊT RENCONTRÉS EN FRANCE ?

La végétation nord-américaine avec ses conifères typiques, le relief, et le climat nous ont fait observer des comportements du feu différents.

Sur notre zone de travail, nous avions un feu qui alternait entre flammes importantes, avec des torches à la dimension des arbres (20 à  25 mètres) dont la propagation était difficilement prévisible, puis flammes plus petites qui brûlaient le sous-bois, caractérisé par la mousse de caribou (un lichen qui brûle bien quand il est sec et qui sert d’isolant quand il est un peu humide).

Lorsque les conditions météorologiques sont favorables à la lutte, ce feu se transforme en feu de sous-sol, il se tapit dans le sol.

Malgré un faux sentiment d’amélioration de la situation, il peut couver à un mètre sous terre et ressortir 100m plus loin et plus tard. Il s’agit dés lors d’un véritable travail de sape. Il faut aller le chercher dans le sol, creuser, gratter, noyer.

La notion de mégafeux prend également tout son sens dans les dimensions constatées. En hélicoptère, nous observions à perte de vue des milliers d’hectares de surfaces brûlées, et l’horizon tapissé de panaches de fumées à 360 degrés autour de nous : gigantesque, impressionnant.

 

QUELQUES BONNES PRATIQUES À NOUS PARTAGER ?

Chaque équipe était mixée avec au moins un collègue canadien, ce qui nous permettait de profiter de leur connaissance de l’environnement et d’enrichir mutuellement nos connaissances et compétences. Cette expérience s’est avérée très intense mais très riche humainement.

Côté matériel, les canadiens utilisent des moyens minimalistes et pragmatiques, comme des tuyaux de 30m plus légers et d’autres de plus petit diamètre. Les lances, de simples futs en plastique, sont aussi très pratiques et d’une efficacité redoutable.

 

UN BON SOUVENIR DE CETTE EXPÉRIENCE ?

J’en retiens même deux !

D’abord, des rencontres étonnantes que nous avons faites sur place. J’étais plus habitué à croiser des sangliers dans nos forêts, qu’un ours au milieu de la forêt canadienne ! Il a finalement rapidement fait demi-tour en apercevant les véhicules mais nous restions prudents, surtout lorsque nous étions isolés et à pied dans le massif. Certains d’entre nous ont également fait d’autres rencontres atypiques : des loups, des lynx et des orignaux (caribous) mais sans être confrontés, heureusement, à des situations à risques.

Et puis, il y a ces petits mots que nous laissaient nos hôtes de la communauté de Wemindji. Ils nous disaient combien ils nous remerciaient d’avoir accepté « de quitter nos maisons pour sauver les leurs ». Cela nous a beaucoup ému.